Double matérialité

Greenscope
juillet 2023
-
14 minutes de lecture

Introduction

Depuis l'adoption de ladirective CSRD(Corporate Sustainable Reporting Directiveen novembre 2022, l’analyse de la double matérialité est au cœur des réflexions visant à définir une stratégie de reporting de durabilité adaptée. Ce principe a été officiellement utilisé dans la réglementation européenne NFRD en juin 2019. Bien que le concept de double matérialité, aussi appelé « double importance relative », ne soit pas nouveau, la CSRD permet de le préciser et de le renforcer.

D’après le dernier projet d’acte délégué (projet de normes révisées) de la commission européenne le 9 juin dernier, toutes les normes ESRS trans-sectorielles (excepté l'ESRS 2) vont être soumises à l'analyse de la double matérialité. Ce concept apparaît ainsi comme la clef de voûte de la nouvelle directive.

De quoi s'agit-il ?

Le principe de double matérialité distingue alors deux types de matérialités liées et interdépendantes. Les entités devront rendre compte à la fois de leur matérialité financière (matérialité simple) et de leur matérialité d’impact.

  • La matérialité financièreselon la logique « outside-in », elle désigne les impacts positifs (opportunités) et négatifs (risques) générés par l’environnement économique, social et naturel sur l’entreprise.

Voici la définition exacte de la commission européenne (ESRS 1, Principes généraux, page 13 paragraphe 53) :

"Une question de durabilité est importante d'un point de vue financier si elle entraîne ou peut entraîner  des effets financiers importants sur le développement de l'entreprise, y compris les flux de trésorerie, la situation financière et les performances financières, à court, moyen ou long terme. C'est notamment le cas lorsqu'elle génère ou peut générer des risques ou des opportunités qui influencent ou sont susceptibles d'influencer de manière significative ses flux de trésorerie futurs. Les flux de trésorerie futurs, ainsi que d'autres facteurs critiques tels que le modèle d'entreprise, la stratégie, l'accès au financement et le coût du capital, sont susceptibles d'influencer la situation financière et les performances financières de l'entreprise à court, moyen ou long terme".

  • La matérialité de l'impactselon la logique « inside-out », elle désigne les impacts négatifs ou positifs de l’entreprise sur son environnement économique, social et naturel.

Voici la définition exacte de la commission européenne (ESRS 1, Principes généraux, page 13 paragraphe 49):

"Une question de durabilité est importante du point de vue de l'impact lorsqu'elle concerne les effets matériels, réels ou potentiels, positifs ou négatifs de l'entreprise sur les personnes ou l'environnement à court, moyen ou long terme. Du point de vue de l'impact, une question matérielle de développement durable comprend les impacts causés par l'entreprise ou auxquels elle contribue, ainsi que les impacts qui sont directement liés aux activités de l'entreprise, à ses produits et à ses services par l'intermédiaire de ses relations commerciales. Les relations d'affaires comprennent la chaîne de valeur de l'entreprise en amont et en aval et ne se limitent pas aux relations contractuelles directes".

Quel place pour la double matérialité dans les rapports de durabilité ?

Selon l’annexe A de l’ESRS 1 (« définition des termes »), la la double matérialité permet de déterminer si l’information sur une question de durabilité doit être incluse ou non dans le rapport de durabilitéOn considère qu’une question de durabilité répond aux critères de double matérialité si elle est importante du point de vue de l’impact, du point de vue financier ou des deux.

En général, le point de départ est supposé être l’évaluation de la matérialité de l’impact, car un impact durable est susceptible de se traduire par des effets financiers à court, moyen ou long terme. 

Il est d’ailleurs important de noter qu’en raison de l’interdépendance entre les impacts sur les personnes et l’environnement, les risques et opportunités, une seule politique peut s’appliquer à plusieurs questions importantes, y compris plus d’un ESRS. L’entreprise doit déclarer les informations requises une fois dans l’ESRS pertinent tout en fournissant les informations requises par d’autres ESRS applicables, avec une explication claire des divulgations couvertes et des références appropriées.

Comment procéder à une double évaluation de la matérialité ?

L'ESRS 1 (Annexe B page 30) contient un guide sur la façon de mener cette analyse de double matérialité :

Cartographie de tous les acteurs clés de l'entreprise. Les parties prenantes concernées doivent être consultées pour chaque norme. L’ESRS définit les parties prenantes comme «les individus, groupes, institutions, sur lesquels les activités de l’entreprise peuvent avoir un impact ou qui ont eux-mêmes un impact ou peuvent influencer les activités de l’entreprise». On identifie ainsi deux types de parties prenantes: celles sur lesquelles les activités de l’entreprise ont un impact (individus ou groupes dont les intérêts sont ou pourraient être affectés) et celles qui utilisent les rapports de durabilité comme les investisseurs, les partenaires commerciaux ou les syndicats.

2. Identifier les zones d'impact. Les domaines d'impact réels mais aussi potentiels doivent être identifiés en tenant compte de la liste des questions de durabilité fournie par l'ESRS (ESRS 1 General Requirements p.34-37). L'entreprise peut alors s'appuyer sur des recherches scientifiques et analytiques sur les impacts en matière de questions de durabilité et doit s'engager auprès de ses parties prenantes et des experts concernés.‍

3. Mesurer la gravité de l'impact elle doit s’évaluer en termes d’ampleur, de portée, de caractère irrémédiable et de caractère potentiellement inéluctable. Le niveau de détail de la description de la politique doit d’ailleurs correspondre à la gravité des impacts identifiés et l’importance des risques et des opportunités : l’entreprise ne doit pas fournir le contenu de tous les documents de politique connexes (comme par exemple les codes de conduite, qui peuvent se trouver sur le site Web de l’entreprise). L’entreprise doit donc prioriser et résumer le contenu pertinent.

4. Identification d'un seuil pour l'établissement de rapports sur l'impact : les impacts qui dépassent le niveau de gravité déterminé, elles doivent faire l'objet d'un rapport spécifique.

5. Mesurer des conséquences financières : celles-ci sont divisées en risques et opportunités.

6. Identification d'un seuil pour l'information sur les conséquences financières: si les conséquences financières dépassent le niveau de gravité déterminé, elles doivent faire l'objet d'un rapport spécifique.

Représentation

L'analyse de la double matérialité peut être présentée sous la forme d'une matrice de double matérialité.  Cette représentation, dans laquelle la matérialité financière se trouve en abscisse et la matérialité d'impact en ordonnée, permet d'avoir un aperçu global assez rapide de tous les risques et opportunités. Cependant, les matrices seules ne suffisent pas, c'est pourquoi il faut les accompagner de textes explicatifs.

Exemple d"analyse de double matérialité chez Sanofi

"En 2022, <i><span>nous avons réalisé une analyse de double matérialité afin de mieux comprendre l'impact de Sanofi sur l'environnement externe et ses risques et opportunités ESG et de se préparer à la prochaine réglementation CSRD dans l'Union européenne. Les résultats de cette évaluation permettront d'orienter sa stratégie RSE à l'avenir. Ci-dessous les principaux résultats du dialogue avec les parties prenantes internes et externes</span></i>.

Les phases suivantes ont été réalisées :

Phase 1 : Sélection de groupes de parties prenantes pertinents concernés et de 16 sujets matériels à examiner.

Phase 2 : Entretiens avec les parties prenantes internes et externes. Les 16 sujets matériels ont été regroupés en lots, et chaque partie prenante a été affectée à un lot, associé à son domaine d'expertise. Les parties prenantes ont été invitées à donner leur avis sur les impacts, les risques et les opportunités pour Sanofi en ce qui concerne les sujets de leur groupe assigné. Les résultats des entretiens ont été agrégés pour toutes les personnes interrogées et résumés dans des fiches d'information, une pour chaque sujet.

Phase 3 : Enquête auprès de membres sélectionnés de la direction de Sanofi pour classer par ordre de priorité les 16 sujets importants. Les fiches d'information ont été utilisées comme une lecture préalable, afin que la direction dispose de toutes les informations pertinentes. Les participants à l'enquête ont classé les cinq sujets les plus importants et les trois sujets les moins importants en ce qui concerne :

  • ‍ l'impact de Sanofi sur la société d'un point de vue économique, environnemental et humain (c'est-à-dire la matérialité de l'impact), et
  • L'impact de l'entreprise sur la valeur commerciale de Sanofi (c'est-à-dire la matérialité financière).
La consolidation des résultats de l'enquête a permis d'obtenir la double matrice suivante :

Les résultats de cette analyse nous aideront à nous préparer à la nouvelle directive européenne sur les rapports de durabilité des entreprises (CSRD) et à orienter notre stratégie en matière de RSE".

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